Frein de langue restrictif, c'est grave?
La première référence aux freins de langue restrictifs date du 3ème siècle avant JC. De l'Antiquité en passant par le moyen âge, la frenectomie (coupe du frein) se pratiquait déjà. La culture des préparations pour bébé dès les années 1950, provoquant la chute du taux d'allaitement, a évincé cette problématique, et ce n'est que depuis les années 1990 que ce sujet réapparait avec une grande controverse. La prévalence des freins de langue dans la population actuelle varie de 5 à 10%, avec un ratio de trois hommes pour une femme. La question de la présence d’un frein restrictif se pose généralement lorsque l’allaitement est douloureux ou difficile à mettre en place. Alors qu’est-ce qu’un frein de langue exactement et quel peut être son impact s'il est restrictif? Et que faire lorsque celui-ci est diagnostiqué ?
Par Caroline De Toni
1/ Définition
La langue est à l'origine collée au plancher de la bouche.
La langue commence à se former dès la 4ème semaine in utéro. A l’origine, elle est collée au plancher de la bouche, par une membrane, le frein, qui doit ensuite disparaitre partiellement afin de permettre à la langue d’acquérir une pleine mobilité. Si le processus de mort des cellules de cette membrane ne se fait pas correctement, alors le frein restant devient « restrictif », c’est-à-dire qu’il empêche la langue de remplir pleinement ses fonctions.
Les freins de lèvres et de joue peuvent également être restrictifs, et doivent donc être vérifiés au même titre que le frein de langue.
La langue joue un rôle dans la respiration, la mastication-déglutition, le développement de la face et du crâne, la phonation, la mimique, et permet le nettoyage de la bouche.
La forte sensibilité au niveau de la bouche et des lèvres permet le développement de réflexes qui rendent possible la mise en place de la succion-déglutition du liquide amniotique in utéro. C’est grâce à ces réflexes que le bébé trouve le sein et tète à la naissance. Petit à petit, avec la maturation du système nerveux, ils disparaissent pour devenir des mouvements automatisés. Les mouvements de la langue se complexifient dès six mois pour évoluer vers la mastication. Il faut attendre 6 ans pour une maturation complète de ce processus de la mastication-déglutition.
La langue intervient dans le développement de la face et de la bouche dès la grossesse, puisque son appui sur la mâchoire et le palais stimule la croissance osseuse de toute la face. Elle détermine avec les lèvres la position des dents.
Elle a un rôle indirect dans la fonction de respiration puisque, dans sa position de repos (ses bords touchent les dents, sa surface le palais et sa pointe le palais en arrière des incisives), elle fait office de point d’appui avec l’os hyoïde aux voies respiratoires, et permet le passage de l’air jusque dans les poumons. Ce rôle de point d’appui fait qu’elle fonctionne de manière synergique avec le crâne et les cervicales (nuque), et elle intervient par conséquent dans l’équilibre de la tête. Si elle est libre de mouvement, elle favorise une bonne posture cervicale, et donc une détente des épaules et une bonne mobilité de la nuque.
Comment se fait-il que l’on ne se morde pas la langue sans arrêt ?
La langue est recouverte d’une multitude de capteurs qui lui permettent de sentir (douleur, pression, froid, chaud, chatouillement…) où sont les dents et de moduler sa forme pour ne pas se faire mordre. Sa sensibilité est également au service de notre plaisir puisqu’elle nous permet d’explorer le monde extérieur par les saveurs et les textures. En effet, les bébés explorent énormément par la bouche en y mettant des objets, leurs mains et pieds… Elle joue par conséquent un rôle fondamental dans le développement psycho-affectif de l’être humain.
2/ Les problématiques d’un frein restrictif
La présence d'un frein restrictif peut entraver le bon déroulement de l'allaitement.
Ainsi, les troubles de la succion chez le bébé peuvent conduire à des difficultés d’allaitement avec des symptômes tels que douleurs et/ou crevasses au mamelon, bébé qui ne grossit pas suffisamment, bébé insatisfait et qui tète très fréquemment et pendant longtemps…
Il joue un rôle dans le syndrome d'apnée obstructive du sommeil.
La présence d’un frein restrictif est aussi relié à des troubles de la respiration. Le syndrome d’apnée obstructive du sommeil se retrouve chez 3 à 10% des enfants, et peut être suspecté lors des symptômes suivants : ronflements, suffocation, énurésie nocturne, maux de tête au réveil ou encore somnolence, hyperactivité, trouble de l’attention, difficulté d’apprentissage.
Il entrave le bon développement de la bouche et du crâne, et modifie la posture du corps.
D’un point de vue postural, les problématiques de malocclusion semblent aussi corrélées à la présence de frein restrictif. En effet, la langue ne stimulant pas assez la croissance du crâne et de la mâchoire, cette dernière est « trop petite » pour accueillir toutes les dents. De plus, les freins restrictifs modifient l’activité des muscles de la face et de la mâchoire au repos et pendant différentes activités telles que déglutir, embrasser, serrer les dents...
Des tensions posturales peuvent apparaître avec une contraction plus importante de la chaîne musculaire antérieure du corps, une tête plus en avant, des tensions sous-occipitales, et une compensation par une hyperlordose lombaire. Cela peut aller jusqu’à la modification de l’arche plantaire.
Il semble jouer un rôle dans les problématiques digestives.
Un étude rétrospective sur 1000 bébés soulève l’hypothèse que la présence de freins de langue et de lèvre restrictifs est corrélé à la présence d’aérophagie chez le bébé, conduisant secondairement à des reflux. Il manque cependant des études pour affirmer l’existence d’un lien de cause à effet.
Sont-ils en lien avec une altération de la parole?
Certaines études évoquent un potentiel lien avec des difficultés de parole et d’articulation, cependant les preuves scientifiques restent faibles.
3/ La prise en charge des freins restrictifs
Le diagnostic de frein restrictif se fait auprès d’un professionnel formé.
Ce dernier évalue la fonction de la langue grâce à différents outils développés et validés par les recherches scientifiques et qui permettent de noter l’apparence du frein, le positionnement de la langue et sa mobilité.
La frénectomie consiste en l'ablation du frein.
Le frein peut être coupé totalement ou bien coupé et réattaché. Cette intervention peut être faite au laser ou aux ciseaux, par un dentiste ou un ORL.
Pour la problématique de l’allaitement, les études montrent que les mères ressentent moins de douleur et ont l’impression d’un allaitement plus facile. De plus, la mobilité de la langue est meilleure après intervention. Par contre, les mesures objectives d’évaluation de l’allaitement (IBFAT et LATCH) ne montrent pas de manière formelle une amélioration. Ces résultats montrent que la frénectomie n’est pas une solution miracle. Il semble que les facteurs influençant l’allaitement ne s’arrête pas à la présence ou non de frein : en effet le type de frein, sa préparation à la frénectomie, les facteurs biomécaniques affectant l’enfant et les autres facteurs psychosociaux influencent la réussite de l’allaitement. Il est donc important d'évaluer les facteurs en cause avec un ou une consultant(e) en lactation IBCLC.
La frénectomie peut être réalisée directement à la maternité pour les bébés. Chez les bébés de moins de 3 mois qui présentent des difficultés alimentaires, la frénectomie est peu risquée et peut être pratiquée sans anesthésie avec un retour au sein ou au biberon juste après.
Concernant les problématiques de parole et d’articulation, les études ne prouvent pas d’amélioration grâce à la frénectomie.
La frénectomie doit être combinée à de la thérapie myo-fonctionnelle qui consiste en différents exercices pour travailler l’élasticité du frein, la musculature de la langue et son positionnement adéquat.
Après frénectomie, le patient ayant toujours vécu avec son frein restrictif ne sait plus comment la langue devrait bouger sans la restriction. Ainsi, il faut prendre le temps de réapprendre au cerveau et aux muscles comment une langue bouge normalement. Ces exercices sont à faire tous les jours pendant plusieurs mois et l’évolution à contrôler. Ces exercices se pratiquent en préparation à la frénectomie et en rééducation post-frénectomie. Idéalement cette dernière doit être entreprise aussitôt que la langue a récupéré en mobilité afin d’éviter l’installation d’attitudes compensatoires. Un suivi avec un orthophoniste permettra la mise en place des exercices et le suivi de l'amélioration de la mobilité.
Les exercices utilisés par Tecco et al chez des enfants d'environ 7 ans
Exercice 1 : Rapprochez le bout de la langue du nez, puis du menton. Tirez ensuite la langue sur le côté et déplacer le bout de la langue vers le haut puis vers le bas.
Exercice 2 : Passez la langue dans un sens puis dans l'autre sur la surface externe des dents, sur la surface interne des dents et autour des lèvres.
Exercice 3 : Tirez la langue et faites un bout pointu ou carré/rond.
Exercice 4 : Placez la langue sur le palais juste derrière les incisives puis ouvrez et fermez la bouche en gardant le contact avec le palais.
Exercice 5 : Placez la langue derrière les incisives, puis faites une succion de manière à coller entièrement la langue au palais. Essayez ensuite d'ouvrir la bouche le plus grand possible sans décoller la langue. Cet exercice permet d'étirer la zone de cicatrice post-frénectomie.
Exercice 6 : Massez le palais avec la langue en allant de l'avant vers l'arrière.
L'ostéopathie permet de compléter l'approche thérapeutique.
En effet, comme vu plus haut, la présence d’un frein restrictif entraîne une posture compensatoire. En conséquence, on retrouve chez les patients bébés des dysfonctions touchant les sutures crâniennes et de la face, et la base du crâne. Chez l'enfant et l'adulte, c'est la posture entière qui est modifiée : augmentation de la lordose lombaire, tête en avant, tension dans les mâchoires et les muscles masticatoires et de la déglutition. L’ostéopathie agit sur les articulations, les fascias et les muscles pour rétablir la mobilité des cervicales et de la base du crâne, stimuler la croissance au niveau des sutures du crâne et de la face chez le bébé et améliorer la posture.
Dans le cadre de l’allaitement, l’ostéopathie permet d’améliorer la qualité de l’allaitement, même sans frénectomie. Le travail sur les structures manquant de mobilité permet au bébé de développer une succion plus efficace et de mieux se positionner au sein.
L'intervention ostéopathique (ou chiropratique) est complémentaire avec l'approche en kinésithérapie, et le travail concomitant de ces deux professions permet une amélioration plus rapide.
Conclusion
La présence d'un frein restrictif peut entraîner tout un tas de complications liées aux nombreuses fonctions de la langue, notamment chez le bébé allaité, mais également pour les bébés qui prennent le biberon, les enfants et les adultes.
La combinaison de l'observation et de l'utilisation de tests spécifiques permet la mise en évidence d'une restriction d'un ou des freins de la bouche.
Il est alors envisagé des solutions allant de la prise en charge en ostéopathie, à la thérapie myofonctionnelle et à la frénectomie en fonction de la gravité et de la récupération possible. Dans tous les cas, un accompagnement inter-disciplinaire est indispensable à une rééducation et une récupération efficace : consultante en lactation, ORL, dentiste, orthophoniste, kinésithérapeute, ostéopathe, orthodontiste.
Je suis formée à la mise en évidence de ces freins et fais partie d'un réseau de professionnels formés.